LES TUAMOTUS
 

Perdu au milieu de nulle part, l'archipel des Tuamotu est difficile à imaginer. 77 atolls répartis sur 1500km de long, et 500km de large, certains totalement inhabités, d'autres attirant quelques touristes, mais tous, dépourvus du moindre relief, comme égarés dans un océan liquide.

Lorsque l'on s'en approche en voilier, on ne voit que très tard l'atoll que l'on vise, uniquement repérable aux cimes des cocotiers qui surgissent une petite heure avant l'arrivée. Nous pointons vers Faaite, atoll d'environ 150 habitants, situé au beau milieu de l'archipel. Il est difficile de choisir quels atolls visiter aux Tuamotu, tant ils semblent tous se ressembler. C'est souvent la facilité de navigation dans la passe d'entrée qui imposera le choix. Faaite, nous nous y rendons pour retrouver Aurélia et Florent, sur le voilier Aloha 7, qui sont déjà sur place depuis 2 semaines. Ils avaient décidé au Panama de se marier aux Tuamotu, et nous avaient demandé d'être leurs témoins. Ils nous attendent donc sur place, surfant tous les jours sur la belle mais dangereuse vague qui borde la passe.

Ils rêvaient d'un mariage tranquille, à 4 devant le maire, sans cérémonie, sans froufrou, très simple, devant une belle vague de rêve, dans le calme et la simplicité d'un atoll tranquille. Mais les habitants de Faaite en ont décidé autrement, et nous ont fait à tous l'un des plus beaux cadeaux de notre vie.

En effet, aucun mariage n'avait eu lieu à Faaite depuis 3 ans, et aucun mariage d'étrangers n'y avait jamais été célébré. Ils voient tout au plus 4 ou 5 voiliers par an, et la plupart restent quelques jours, ne prenant que rarement contact avec les habitants. Alors l'arrivée de ces 2 drôles d'équipages, l'un qui décide de se marier sur place, l'autre qui fait le cinéma en plein air 2 fois par semaine, surfant en compagnie des jeunes du village, pêchant et chassant à leurs côtés, c'était, pour eux, un grand honneur, et ils voulaient marquer le coup.

Et les habitants ont pris les choses en main. Les mamas du village ont passé des journées entières pour tresser des feuilles de coco afin de décorer le village; un cochon a été tué, et un four paumotu creusé la veille du mariage pour y faire cuire la bête sur du corail chauffé à blanc; la couturière locale a cousu des tenues assorties pour les mariés et pour nous, les témoins; des cocotiers ont été plantés dans la nuit précédant le mariage, le long du chemin qui reliait la maion où les hommes avaient rendez-vous à la maison où les femmes les attendaient. Une fois habillés et couronnés de fleurs par Terei, Matthieu et Florent se sont rendus, suivi par un groupe de joueurs de yukuleles, jusqu'à la maison où les femmes s'étaient aussi changées, et le cortège est reparti en musique vers la mairie. La cérémonie, ponctuée de chants et de poèmes, entièrement en Paumotu, a été dure à suivre, et Florent n'a même pas compris quand le maire lui demandait de dire "oui", à la grande frayeur d'Aurélia. A la sortie de la cérémonie, les enfants avaient préparé un haka, danse traditionnelle des guerriers, puis ils nous ont tous à nouveau couronné de multiples colliers de fleurs et de coquillages. Après, le banquet a débuté, au son d'un groupe de musicien du village, et nous nous sommes tous rués vers le cochon, qui avait cuit par morceaux disposés dans des paniers tressés en feuilles de cocotiers.

Il est difficile de faire passer, par cette laborieuse énumération, toute l'émotion de cette journée, et l'émotion générale que nous avons ressentie lors de notre trop court séjour à Faaite. En un mois, nous avons tissé avec les habitants de cet atoll des liens très forts. Chaque pas que nous faisions à terre était accompagné de la tendre compagnie des enfants, pour qui le cinéma en plein air était une grande première. Les adultes aussi nous avaient adoptés. C'est Teiki, le directeur de l'Ecole, qui nous a emmené plonger sur sa ferme perlière, nous offrant, au passage, un gros sac de perles, Pierre, qui invitait Florent et Matthieu à chacune de ses sorties de pêche (à pied la nuit sur le récif; au crépuscule, au large, pour attraper les thons à la traîne; au petit matin, les mérous à la ligne dans le lagon; pendant la journée, dans ses parcs à poisson ou, au harpon sur le tombant du récif, à se disputer les carangues avec les requins...), Fariu, secrétaire à la Mairie, qui s'est démenée pour organiser toutes les festivités du mariage, et nous offrait des légumes frais (une denrée rare sur ces atolls isolés) quand Matthieu avait attrapé la ciguatera; Mamau, petite grand-mère espiègle, qui en a profité pour demander Matthieu en mariage, en lui offrant une bague en coco, puis une autre "de divorce", le jour de notre départ... Et tout cela en 1 mois, alors que nous avons l'impression d'y avoir passé une vie. Nous en avons profité pour faire un film du mariage, et un film présentant l'école afin que celle-ci trouve une école jumelle en Polynésie ou en France. Nous avons distribué ces films sur DVD à tous les gens intéressés, et c'était un bonheur de les entendre les passer en boucle dans leur maisons, ponctués d'éclats de rire. Et quand nous passions le film sur grand écran !! On ne pouvait plus empêcher les enfants de rigoler.

Et les enfants en ont besoin, de rire, car la vie n'est pas rose dans ce petit bout du monde. Faaite a été le cadre d'une tragédie il y a 20 ans. Pris d'une crise de folie mystique, déclenchée par 3 "prêtresses" venues de Tahiti, les habitants ont allumé des bûchers en pleine rue, où ils ont précipité 6 "hérétiques", brûlant mères, pères, frères ou sœurs... Le calme n'est revenu qu'avec la venue en urgence de l'Evêque. Mais les souvenirs n'ont pas disparu, et certains habitants nous racontaient la vision de la mort de certains de leurs parents, jetés vifs dans les flammes, enfermés dans un sac. 20 ans, ce n'est pas vieux, mais c'était il y a un siècle ici, où l'île ne possédait pas d'aérodrome, ne communiquait que par radio avec Papeete. Aujourd'hui, les coupables, qui ont purgé une peine de prison sur Papeete, sont tous revenus. Le prêtre, qui a gaillardement allumé quelques bûchers, distribue aujourd'hui les hosties à l'église... On pourrait croire que les habitants souhaitent oublier, mais ils sont nombreux à avoir souhaité spontanément nous en parler, afin, sans doute d'évacuer la tension.

Mais aujourd'hui non plus, rien n'est simple. Un mois avant notre arrivée, trois jeunes filles se sont fait violer. Le coupable est connu, les gendarmes de Tahiti sont prévenus, mais ça n'est pas si simple, d'affréter un avion pour venir arrêter le violeur ! Alors en attendant, le gendarme local a juste interdit aux enfants de sortir dans les rues après 18 heures, sauf les soirs de cinéma ! Les enfants trouveront dans nos bras une chaleur rassurante, et se battront pour avoir le bonheur de s'asseoir à nos côtés lors des projections, ou pour nous tenir les mains lors de nos ballades à terre... Bref, un condensé d'émotions.

Et le dernier jour ne fut pas le plus facile. Faisant le tour des maisons du village pour dire au revoir, accompagnés d'une troupe d'enfants tristes, nous avons découvert que beaucoup d'habitants nous avaient préparé des cadeaux, colliers de fleurs, coquillages, bijoux, perles, cadres... Puis ils nous ont accompagnés sur le quai, et c'est face à un océan de sourires et de larmes partagés que nous avons repris la mer, sous la grisaille d'une journée difficile.

Mais nous leur avons promis d'y retourner un jour, leur présenter notre bébé, dont nous avons appris la conception au dispensaire de l'île (propageant du même coup la nouvelle dans l'île tout entière, mystérieusement au courant dans l'heure qui a suivit le test), et nous ne manquerons pas à notre promesse.



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